Pouvez-vous nous rappeler, en quelques mots, votre parcours professionnel ? (et quelle a été votre 1re expérience pro ?)
J’ai étudié le cinéma pendant 2 ans à l’ESEC. J’en ai profité pour passer mon bac que je n’avais pas ! Au cours de la 2e année, j’ai accepté un stage non rémunéré d’un an à la cinémathèque française, où j’ai été missionné au Registre Public du CNC. Cette année de stage m’a permis de rencontrer des personnalités comme Bette Davis (dont j’ai été garde du corps), Jacques Demy, Alexandre Trauner, Sergio Leone… Au service de l’Avance sur Recettes, j’ai rencontré un producteur qui m’a proposé de faire mon premier stage sur un film, c’était Noce en Galilée (1986), dont le tournage se déroulait dans les territoires palestiniens en Israël. Le premier assistant, Alain Tasma, était l’ancien assistant de François Truffaut. Une immense expérience qui m’a donné envie de continuer comme assistant-réalisateur, ce que je n’avais pas prévu ! Le fait d’être fiable et toujours de bonne humeur m’ont aidé à enchaîner les films comme stagiaire. J’ai fait une pause d’un an pour accomplir mon service militaire au cinéma des armées, ce qui fut une autre expérience formidable. Puis les tournages se sont succédé, avec une spécialisation dans les films anglo-saxons grâce à ma bonne maîtrise de l’anglais et particulièrement du vocabulaire technique. J’ai ainsi pu travailler aux côtés de Samuel Fuller, Martin Scorcese (Le Temps de l’Innocence), James Ivory (Jefferson à Paris), Neil Jordan (Entretien avec un vampire), et tant d’autres… Devenu 1er assistant et à la suite d’une crise qui a vu les tournages étrangers quasiment disparaître de France, j’ai alors assisté de nombreux jeunes réalisateurs français pour leurs premiers films. N’étant pas complètement satisfait par la tournure que prenait ma carrière, j’ai décidé de rompre avec le métier d’assistant pour me tourner vers la production. Je me suis inscrit à un stage intensif de direction de production pendant 2 mois et j’ai débuté comme directeur de production sur les Petites Annonces d’Elie Semoun. Puis, une fois de plus, les choses se sont enchaînées rapidement… J’ai été appelé comme directeur de production sur le premier film de Guillaume Canet (Mon Idole) et je suis resté plusieurs années auprès d’Alain Attal, le producteur, comme coordinateur de production. J’ai ensuite été contacté par la Gaumont pour devenir producteur exécutif en interne pendant plusieurs années. Puis j’ai créé une structure de production avec Franck Chorot, alors DG de Gaumont. Nous avons produit Le Cochon de Gaza, qui a gagné le César du meilleur premier film en 2011. Quelques années plus tard, j’ai créé ma propre boîte qui produit des films et surtout du théâtre, encore un nouveau métier !
Au cours de votre longue carrière d’assistant-réalisateur, vous avez fréquenté de nombreux réalisateurs & producteurs différents. Chaque expérience était-elle unique ?
Oui, chaque expérience était unique, et c’est ce qui faisait le charme de cette expérience ! Pendant de longues années, j’avais le plaisir d’apprendre ce métier auprès de grands réalisateurs et de grands techniciens. Je me souviens encore du sentiment de joie extrême que j’avais en me levant à l’aube pour rejoindre les plateaux de tournage. Je savais que la journée allait être dure et fatigante, mais j’étais tellement heureux de retrouver l’équipe et les acteurs, de savoir que je participais à ma toute petite échelle à la fabrication d’une belle œuvre, et surtout que j’allais encore apprendre des choses, acquérir de nouveaux réflexes. J’ai tellement adoré cette période ! En plus, j’étais payé pour ça !
Puis un jour les choses ont changé. Je n’apprenais plus rien, c’est au contraire moi qui devais faire bénéficier les autres de mon expérience, sans aucune reconnaissance en échange, pour finalement faire des films ratés. Devant ce constat, j’ai alors décidé de mettre fin à ma carrière d’assistant.
Pourquoi ne pas être passé à la réalisation de films, de fictions ?
Quand j’ai mis fin à ma carrière d’assistant, j’ai eu l’opportunité de devenir réalisateur de publicités. C’est une période qui a duré un ou deux ans. J’ai réalisé quelques films publicitaires, mais je ne m’y retrouvais pas, tant personnellement que financièrement. J’ai toujours eu l’envie secrète de réaliser des films, mais je n’ai jamais vraiment poussé les portes pour le faire. Je suis certain que je ne serais pas le plus mauvais réalisateur du monde, car j’ai pu humer le parfum de la réalisation avec la publicité mais aussi aux côtés de Franck Dubosc, qui m’a confié la réalisation de ses sketches (Pour Toi Public). Si mes pubs n’ont pas convaincu, mes sketches ont rencontré un grand succès !
Puis vous êtes passé du côté de la « production exécutive », en exerçant les métiers de directeur de production, de producteur exécutif. Pourquoi ? L’exercice de ces métiers était-il aussi intéressant que d’être sur le plateau ?
Une de mes principales motivations a toujours été d’apprendre, d’en savoir plus… Être assistant ne permet d’être le témoin que d’une petite partie de la fabrication d’un film. Je brûlais de savoir ce qui se passait avant et après le tournage. Dans mon cas précis, les tournages n’avaient plus l’attraction d’antan, j’ai donc retrouvé cette magie dans la production.
Au cours de votre carrière, vous avez même été auteur (co-auteur du film La Guerre des Miss de Patrice Leconte). Êtes-vous un curieux insatiable, un boulimique de travail ?
C’est une bonne définition de moi ! Ce que j’adore dans ce métier, c’est aussi l’émulation du travail d’équipe. Écrire, produire tourner des films en collaboration avec des gens qu’on apprécie, avec qui les idées rebondissent en permanence, est une grande joie. Je m’épanouis plus dans le travail d’équipe que dans le travail solitaire. Ce qui explique aussi sans doute pourquoi je n’ai pas persévéré dans la réalisation, qui est un vrai travail solitaire, contrairement à ce qu’on pourrait croire.
Vous êtes maintenant producteur, à la tête de votre société de production, La Tomana. Ce qui vous a permis de produire des œuvres originales, engagées : au cinéma avec Afrik’Aïoli de Christian Philibert, au théâtre avec On n’arrête pas la connerie et bien sûr le film Le Cochon de Gaza qui a obtenu le césar du meilleur 1er film. Parlez-nous du film Le Cochon de Gaza, qui a fait plus de 208 000 entrées sur septembre et octobre 2011. L’histoire du projet, la mise en place, les difficultés…
J’ai produit Le Cochon de Gaza avec ma société précédente, Marilyn Productions, aux côtés de Franck Chorot. Produire un premier film d’un type (Sylvain Estibal) qui n’avait jamais mis les pieds sur un plateau de tournage, et qui pour couronner le tout, était une comédie sur le conflit israélo-palestinien avec un cochon comme personnage principal, fut une entreprise longue et douloureuse… Autant dire que nous étions les seuls à y croire. Il a fallu de nombreuses années de patience et l’aide timide de certains pour que le projet puisse voir le jour. Nous avons mis plus de trois ans pour rassembler le budget ! Ce film est l’exemple parfait de ce qu’on appelle l’ingénierie financière : coproduction franco-germano-belgo-maltaise, il y avait 19 nationalités différentes sur le tournage ! Pour des raisons de co-production, il a fallu tourner certains champs à Malte et les contrechamps deux mois plus tard à Cologne ! Pas idéal pour un jeune réalisateur. Je garde un souvenir enchanté du tournage, malgré les conflits inhérents au sujet et au budget. Le réalisateur, les comédiens et l’équipe ont été formidables, tout le monde savait qu’on faisait un film hors-norme. Même le cochon a été très pro !
Professionnellement, quelle est votre plus grande fierté ?
Je suis très fier de ma carrière d’assistant-réalisateur. Car partant de zéro, je suis devenu un assistant très demandé, sans doute grâce à mon implication dans le métier. C’est la raison pour laquelle j’ai créé l’Association Française des Assistants-Réalisateurs à l’époque. Je suis également très fier d’avoir coupé les ponts avec ce métier malgré les propositions alléchantes (De Palma, Annaud…) et d’avoir réussi à gravir les échelons de la production. Enfin, je suis très fier du Cochon de Gaza : le meilleur compliment que j’ai reçu est que ce film me ressemble !
Et avez-vous connu l’échec ? Comment vous êtes-vous remis ?
J’ai vécu énormément d’échecs. Ils sont douloureux et indélébiles. Échecs en tant qu’assistant, en tant que producteur… Je ne suis pas certain qu’on s’en remette vraiment. Ces échecs vous remettent entièrement en question, ils sont lourds. Le seul bénéfice que je leur attribue est de m’avoir permis de rebondir et de faire autre chose, de recommencer à zéro.
Quels sont vos projets professionnels ?
Je développe actuellement un film auquel je tiens particulièrement. C’est un film de genre qui me fait penser à La Ronde, où plusieurs destins vont se croiser et certains mourir à cause d’un lapin écrasé sur une route de montagne… Je continue également à faire vivre un beau spectacle de mentalisme.
Un dernier point que vous souhaitez aborder lié à votre carrière ?
J’ai toujours apprécié de faire partager mon expérience et mes sensations aux autres. C’est pour cela que j’ai longtemps réservé une partie de mon temps à l’enseignement dans divers établissements, que j’ai écrit un livre sur l’assistant-réalisateur qui est devenu une référence et que j’ai collaboré avec Stardust MasterClass. Je pense qu’en réalité le fait de transmettre mon savoir est aussi une manière de faire le point avec moi-même !
Pour en savoir plus sur Jean-Philippe Blime et profiter de son expérience en tant qu’assistant-réalisateur et en tant que producteur, retrouvez les formations qu’il a rédigées pour Stardust MasterClass : « Métier producteur », et, à sortir prochainement, « Métier assistant-réalisateur ».