Le directeur juridique de la SACD a accordé un entretien à Stardust Masterclass pour notamment nous rappeler le fonctionnement de la SACD, évoquer les différents pièges à éviter lorsque l’on signe un contrat et les multiples conflits avec les chaînes de télévision, ainsi qu’aborder le tumultueux article 13.
Qu’est-ce que la SACD ? Quels sont son fonctionnement, son statut, sa source de financement ?
La SACD est une société d’auteurs fondée par Beaumarchais en 1777 ; elle regroupait à l’époque les auteurs de spectacles vivants, essentiellement théâtre et opéra. Au fil du temps, surtout à partir du XXe siècle, elle a incorporé d’autres répertoires de spectacles vivants, notamment la radio, le cinéma puis les réalisateurs, qui à l’origine étaient considérés comme de simples techniciens, et non des auteurs. Et puis avec l’apparition de la télévision, la SACD a intégré les scénaristes, puis les réalisateurs de télévision.
Le répertoire de la SACD, outre le théâtre, incorpore les spectacles vivants en général, parce qu’il y a aussi les arts de la rue, l’animation et la télévision. Les droits d’auteurs ont été introduits dans la loi de 1985 pour protéger les producteurs et les artistes interprètes. [NDLR ‒ En 1985, Jack Lang, alors ministre de la Culture, fait voter la loi instaurant la copie privée afin de permettre au public de copier les œuvres sur tous leurs supports privés afin de les regarder dans le cadre familial tout en préservant les droits des créateurs. Source : Site de la SACD.]
Pouvez-vous nous expliquer la différence entre la SACD, la SACEM, l’ADAMI et la SCAM ? Car de nombreuses personnes sont encore un peu perdues entre tous ces termes.
La SACD gère le répertoire de la fiction télévisuelle, des œuvres d’animation et du cinéma. Tout ce qui concerne le programme audiovisuel documentaire est géré par une autre société, qui est la SCAM. L’ADAMI et la SPEDIDAM sont des sociétés qui ne gèrent pas des droits d’auteur, mais les droits des artistes-interprètes au titre des « droits voisins ». Ils ne perçoivent pour l’essentiel que des rémunérations dites « légales », c’est-à-dire la copie privée et la rémunération équitable quand vous diffusez par exemple de la musique dans un lieu public ou à la radio, ou dans une certaine mesure à la télévision. La SACEM intervient dans le domaine de la musique pour toutes ses utilisations, que ce soit à la radio, à la télévision, ou dans les lieux publics tels les bars, les discothèques, les concerts. Elle n’intervient pas sur le répertoire audiovisuel, ne gère pas les droits des scénaristes et des réalisateurs d’œuvres de cinéma ou télévisuelles. Il y a un petit segment audiovisuel pour la SACEM en ce qui concerne les œuvres d’humour, où on est un peu en concurrence avec la SACEM, mais c’est tout.
Qui peut ou doit adhérer à la SACD ?
Pour adhérer à la SACD, il faut être auteur, c’est-à-dire avoir déclaré au moins une œuvre audiovisuelle, ou être en mesure de la déclarer dans une période relativement rapprochée de l’adhésion. Donc normalement, ce sont des auteurs qui sont professionnels et ont au moins signé un contrat avec un producteur pour créer soit un film, soit une fiction audiovisuelle, soit une fiction d’animation, soit une œuvre théâtrale. Il arrive parfois qu’on prenne des stagiaires ou des auteurs diplômés d’une école de scénaristes ou de réalisateurs, quand ils sont parrainés.
Existe-t-il un âge minimum ?
Non, parce que vous pouvez être auteur à tout âge. Vous pouvez écrire, réaliser un film à 15 ans ! Mais bien sûr, à ce moment-là il faut un accord parental. Et d’ailleurs, je ne suis pas sûr que nous ayons des exemples de membres de la SACD qui soient mineurs. Ça viendra peut-être un jour s’il y a des youtubers qui sont intéressés.
Comment se passe la répartition des droits et quand arrive-t-elle ?
Les droits, déjà, il faut les percevoir. L’essentiel de notre activité, c’est de percevoir les droits auprès des théâtres dans le domaine des spectacles vivants ou des compagnies qui représentent les pièces. Cet argent est donc perçu au titre d’une pièce donnée, qui a elle-même fait l’objet d’une déclaration à la SACD, donc on connaît l’auteur ou les coauteurs et on répartit les droits qui ont été perçus. On le fait en général assez vite, c’est de l’ordre d’une ou deux fois par mois. Nous avons un calendrier de répartitions pour les droits audiovisuel, donc nous signons des contrats avec toutes les chaînes de télévision et les distributeurs de programme de télévision que sont les FAI [NDLR – Fournisseurs d’accès à internet]. Ces droits font l’objet d’une répartition en fonction des programmes et des heures de diffusion. L’audience est plus importante aux heures de grande écoute. Nous avons donc un barème de répartition défini par le conseil d’administration dans le cadre des principes fixés par l’assemblée générale. L’argent est réparti en fonction des heures de diffusion et d’un stand de coefficient pour tenir compte de la caractéristique de l’œuvre. Il est mis sur le prototype de l’œuvre, et ensuite la répartition entre les coauteurs se fait en fonction des clés de partage définies sur le bulletin de déclaration de l’œuvre à la SACD. Il y a plusieurs répartitions par an, puisque la plupart du temps les diffuseurs avec qui nous avons des contrats nous versent des droits soit une fois tous les trimestres, soit une fois tous les semestres. En fonction de ce calendrier de perception, nous avons un calendrier de répartition qui est un peu décalé, en tout cas on a une obligation dans la loi, c’est qu’une somme perçue une année N doit être répartie au plus tard neuf mois à compter de l’année N+1. Si on perçoit de l’argent au mois de juillet 2018, on est obligés de l’avoir réparti au plus tard à la fin du mois de septembre 2019. Mais en réalité on le répartit beaucoup plus vite, sans excéder l’année de répartition.
Parlez-nous des prix remis par la SACD chaque année ?
Chaque année nous remettons des prix à la fête qui se tient en général dans la deuxième quinzaine du mois de juin, dans les jardins de la SACD. C’est le conseil d’administration qui décide d’un prix par discipline, comme les arts de la rue, le cirque, le théâtre, la musique de scène ou l’opéra, la télé, l’animation, et de la liste des primés. Il y a un prix européen qui récompense un auteur européen, il y a également une médaille Beaumarchais pour quelqu’un qui a œuvré pour la création. Au total, nous remettons une vingtaine de prix, les auteurs décident de remettre des prix à d’autres auteurs. Personne d’autre n’intervient.
Dans un contrat type, sur quoi l’auteur doit-il être particulièrement vigilant ?
Sur beaucoup de choses. Nous avons ici un service de négociations individuelles qui peut donner des conseils aux auteurs. Il offre notamment le service pour les jeunes auteurs de négocier leur premier contrat, sur lequel ils doivent effectivement être vigilants.
En premier lieu, il est important qu’ils veillent à ce que figure dans le contrat une clause qui rappelle l’intervention de la SACD pour la perception des droits auprès des chaînes de télévision. Si c’est une œuvre créée pour la télévision, ça représente l’essentiel de l’exploitation ; si c’est une œuvre créée pour le cinéma, il faut au moins qu’ils aient une clause de réserve pour qu’on puisse percevoir le droit quand l’œuvre est diffusée à la télévision, et après avoir été diffusée par le cinéma.
Deuxième chose importante : si c’est une œuvre de commande, ce qui est souvent le cas, les étapes d’écriture, si c’est un scénariste, doivent être définies de manière extrêmement précise avec un versement de la rémunération convenue au moment de la signature du contrat, correspondant à des étapes d’achèvement d’écriture. Que se passerait-il si finalement le texte était refusé par le producteur ? Ce qui arrive parfois. Il faut que les sommes qui ont été versées restent acquises à l’auteur. Le cas échéant, qu’il puisse avoir un dédit si le texte ne convient pas pour créer l’œuvre, et que les conditions de réutilisation d’un texte refusé soient définies de manière très précise de façon à éviter les reproches de contrefaçon.
Troisième chose : sur le sujet de la rémunération. Il faut normalement une rémunération par mode d’exploitation : une pour l’exploitation en salle, une pour l’exploitation sous forme de DVD, une pour l’exploitation des ventes à l’étranger. Il faut un pourcentage, une assiette précise définie dans les contrats types de la SACD.
D’ailleurs, le meilleur conseil que l’on puisse donner à un jeune auteur, c’est d’aller sur le site de la SACD et de regarder les contrats types qui y figurent ; il peut s’en inspirer au moment de la négociation de son contrat. Dans les contrats, il y a des pièges potentiels à chaque clause. Il faut donc être attentif à chacune de ces clauses.
Enfin, il faut également faire attention aux durées de session. En général, dans l’audiovisuel, la durée standard de cession des droits est de 30 ans. Ça n’est pas toute la durée de la propriété littéraire et artistique, qui est très longue : 70 ans après la mort de l’auteur. Si vous signez pour 70 ans, ça veut dire que vos héritiers seront pieds et poings liés. L’usage, c’est donc que vous cédiez vos droits pour 30 ans, et au bout de 30 ans, si vous êtes encore vivant, vous pourrez renégocier le contrat. Cela permet de renégocier une rémunération complémentaire au moment du renouvellement des droits. Ce sont vos héritiers qui renégocieront si vous êtes mort, au moins ça leur donne un minimum de contrôle sur l’utilisation de vos œuvres. Ceci dit, dans l’audiovisuel, il y a peu d’œuvres qui survivent si longtemps, qui gardent l’intérêt du public. Il y a des catalogues de cinéma qui restent vivants, mais pour la télévision, les fictions télévisuelles d’il y a 30 ou 40 ans suscitent moins d’intérêt.
En tant que directeur juridique/SACD, intervenez-vous directement sur certains litiges ? Par exemple, quand il y a conflit entre un producteur et auteur, ou entre deux auteurs sur la répartition des droits.
Il m’est arrivé d’intervenir sur des litiges qui nous opposent aux chaînes de télévision. Je m’occupe beaucoup des négociations avec les chaînes de télévision et les distributeurs de programme de télé, on a pu avoir des litiges très lourds qui engagent globalement la SACD, c’est-à-dire tous les auteurs qu’on représente. En particulier avec Canal+, l’année dernière, où le conflit a été assez dur. Sur des conflits entre auteurs et producteurs, on peut parfois intervenir ponctuellement, c’est un autre service qui dépend de moi, mais pour les contrats individuels dont je parlais tout à l’heure, qui au moment où ils renégocient les contrats avec les producteurs peut intervenir sur des litiges. Et puis nous avons un service audiovisuel dirigé par Sandrine Antoine, laquelle peut effectivement intervenir quand il y a un conflit entre coauteurs sur les clés de partage. Par exemple, quand un scénariste estime qu’il a droit à 60 % et que l’autre estime également qu’il a droit à 60 % des droits, on intervient pour faire des conciliations entre coauteurs et aboutir à des accords qui permettent d’éviter d’aller au tribunal. Et puis parfois on intervient quand le problème est porté devant un tribunal parce qu’on est aussi assignés par les deux coauteurs. Dans ces cas-là, on ne peut pas se positionner quand il s’agit de coauteurs qui sont tous les deux membres de la SACD.
Qu’en est-il d’un conflit avec un auteur membre de la SACD et un étranger ?
On peut prendre parti pour l’auteur membre de la SACD. En général, les auteurs étrangers sont membres d’une association étrangère homologue de la SACD, c’est le cas en Italie ou en Espagne, ou par des Guildes, comme c’est le cas au Canada anglophone et aux États-Unis. Quand il y a des conflits, on essaye de les régler à l’amiable avec la société étrangère. Ce n’est pas toujours possible, mais en général on y arrive. Nous avons un principe d’accord avec les sociétés étrangères, c’est que les règles de répartition sont les règles du territoire où les droits sont perçus. Ainsi, si c’est une chaîne française qui utilise une œuvre étrangère ou une œuvre à moitié française et à moitié étrangère, normalement ce sont les règles françaises qui s’appliquent si les droits ont été perçus sur le territoire français. Ce qui n’interdit pas à la société étrangère de les contester. En général, ça se règle assez facilement.
Sur YouTube, de nombreuses personnes se plaignent notamment de leurs vidéos plagiées. Que peut faire la SACD dans ces cas-là ?
Normalement, YouTube les retire. Le problème, c’est qu’il y a une procédure de notification qui est particulièrement contraignante. Actuellement, il y a un système qui est en train de se mettre en place avec l’Alpa, l’Association pour la lutte contre la piraterie audiovisuelle qui regroupe les producteurs français et américains. Ils essayent de mettre en place un système de retrait automatique par le truchement d’une empreinte numérique qui, une fois qu’elle est réalisée par le producteur et envoyée à la plateforme, permet que la vidéo soit retirée automatiquement et ne soit plus remise à disposition. Le problème, c’est lorsque vous avez l’utilisation par un youtuber de la vidéo d’un autre youtuber. S’ils ne sont pas membres de la SACD, en principe on ne peut rien faire, c’est très compliqué. Heureusement, un bon nombre de youtubers sont membres de la SACD.
Nous avons un accord avec YouTube pour percevoir les sommes relatives à l’utilisation de notre répertoire, mais ce n’est pas un accord qui a pour but de faire retirer les vidéos. C’est vrai que c’est un problème extrêmement complexe, parce que vous avez des milliards de vidéos sur YouTube, c’est impossible de tout contrôler. Le mieux, c’est de mettre un système de retrait automatique par empreintes, comme celui que l’Alpa essaie de mettre en place.
Sur le même thème, de nombreux vidéastes voient leurs vidéos « strikées », c’est-à-dire retirées ou démonétisées, à la demande de parties tierces n’étant pas liées aux réels ayants droit. Concrètement, comment un vidéaste fait pour savoir qui est l’ayant droit qui pourrait lui donner autorisation de diffuser un extrait de son œuvre ? YouTube et la SACD travaillent-ils ensemble ?
Ça dépend de quelle œuvre il s’agit. Si c’est une œuvre qui a un producteur, il peut retrouver facilement les coordonnées du producteur parce qu’il y a un générique. Si c’est l’œuvre d’un autre youtuber, effectivement c’est un peu plus compliqué. Ceci dit, d’un point de vue juridique, la question ne se pose pas. Tant que vous n’avez pas l’autorisation de son auteur, vous ne pouvez pas mettre la vidéo à disposition ou même un extrait de sa vidéo. Ce qui veut dire concrètement que ce n’est pas parce que vous avez du mal à retrouver les coordonnées de quelqu’un que c’est une raison pour mettre la vidéo à disposition. C’est différent pour les cas de critique, parodie, où c’est autorisé parce que la jurisprudence n’est pas très précise.
Quel est le cadre exact et quelles sont les délimitations juridiques des exceptions aux droits d’auteur : droit de citation, parodie, critique ?
[NDLR ‒ Les youtubeurs se servent de ces « exceptions » pour justifier leurs vidéos qui reprennent des extraits d’autres œuvres.]
C’est difficile de répondre à la question, puisqu’en général c’est du cas par cas. Ce qu’on peut dire, c’est que le droit de citation est a priori très encadré. Il suppose une stricte condition : pour que vous ayez le droit de citer une œuvre, il faut que vous la citiez dans une œuvre existante. C’est-à-dire que si vous faites une collection de citations de livres protégés, vous n’êtes pas dans le droit de citation. Si vous faites une anthologie, vous n’êtes pas dans le droit de citation parce que votre œuvre, une fois que vous retirez les citations, elle n’existe plus. Donc il faut que ce soit inséré dans une œuvre existante et que ça ait un but pédagogique critique ou d’information, c’est la règle de la loi française. Le bon critère pour le droit de citation est le suivant : si je retire les citations, est-ce que l’œuvre dans laquelle il y a des citations existe encore ? Si elle s’effondre complètement, c’est que vous n’êtes pas dans le droit de citation.
Pour l’audiovisuel, c’est un peu particulier parce que normalement il n’y a pas de droit de citation. Vous ne pouvez pas mettre 2 ou 3 minutes d’extrait. Je prends un cas typique : Bertrand Tavernier a fait un film sur l’histoire du cinéma français dans lequel y a des extraits d’interviews. Il a demandé l’autorisation aux détenteurs de droits. Il y a aussi des extraits de films, et là il a fallu qu’il demande à chaque producteur l’autorisation de reproduire un extrait de film, même s’il dure 24 secondes, pour avoir le droit de le reproduire. Et quand on répartira les droits, si son film est diffusé à la télévision, on répartira les droits à Bertrand Tavernier, mais également aux auteurs des films qui sont utilisés dans son documentaire sur l’histoire du cinéma français. Le droit de citation en matière audiovisuelle est tout à fait contestable. La parodie est autorisée, mais là encore c’est du cas par cas. C’est le fait de reprendre des éléments caractéristiques d’une œuvre pour s’en moquer. Le cas typique pour la parolie, c’est La Bicyclette bleue de Régine Desforges, accusée d’avoir repris Autant en emporte le vent. Il y a eu une plainte des héritiers de Margaret Mitchell. Finalement, Régine Desforges a gagné, on a considéré qu’effectivement elle avait réutilisé des éléments d’Autant en emporte le vent, mais c’était une sorte de parodie, c’était transposé dans une autre époque.
Quand vous faites une critique, vous avez le droit de citer l’œuvre que vous critiquez. Si vous faites une émission sur le cinéma et que vous reproduisez quelques secondes d’un navet, vous pouvez considérer que c’est un droit de citation relevant de la critique, encore que dans le domaine audiovisuel c’est limite. En revanche, si vous utilisez des séquences de film pour faire des annonces sur YouTube ou Twitter ou autre, normalement ce n’est pas du droit de citation. C’est l’utilisation des films, même d’un petit extrait, qui nécessite une autorisation et un paiement de droits. Ensuite, est-ce qu’on peut contrôler toutes ces utilisations ? C’est une autre question. C’est hyper difficile. Dans la théorie, vous devez avoir l’autorisation.
Quelle est la position de la SACD concernant l’article 13 ? YouTube, avec qui vous avez signé un nouvel accord il y a quelques jours, semble tomber dans une forme de lobbyisme qui clame que YouTube pourrait disparaître.
L’article 13 partait d’un constat simple, c’est que les plateformes telles que YouTube, Facebook, Dailymotion mettent à disposition des œuvres protégées et sont couvertes par le statut d’hébergeur. Or quelqu’un qui vit principalement de mise à disposition des vidéos ou de musique n’est pas un hébergeur. À l’origine, l’hébergeur était celui qui accomplissait une prestation purement technique qui consistait à dire : « vous voulez mettre à disposition des contenus, moi je vais les héberger sur mes serveurs, et j’aurai le rôle d’assurer la mise à disposition technique, pas de me mettre en avant pour gagner de l’argent en mettant des vidéos à disposition. » Un vrai hébergeur, c’est OVH par exemple, puisqu’ils stockent des contenus pour qu’ils soient disponibles sur internet. YouTube, Dailymotion ou Facebook ne sont pas des hébergeurs. S’ils gagnent des dizaines de milliards de dollars, ce n’est pas en leur qualité d’hébergeurs, c’est parce qu’ils sont aussi actifs dans la mise à disposition des contenus qu’une chaîne de télévision. Même si ce n’est pas eux qui mettent les vidéos, ils sont tout de même les bénéficiaires indirects du trafic que les vidéos génèrent. C’est un modèle économique qui ne repose pas sur un pur hébergement. Donc l’article 13, on l’a soutenu pour cette raison-là, comme d’ailleurs un autre article est en discussion pour instaurer un droit de rémunération pour les auteurs au niveau européen, un peu sur le modèle de la SACD. Je ne sais plus où on en est exactement sur les articles 13 et 14. Normalement, il devrait y avoir une position définitive d’ici la fin du mois de février puisque le Parlement, le Conseil européen et la Commission doivent se réunir pour arrêter un texte définitif. Mais en tout cas nous soutenons l’article 13, parce que c’est effectivement un moyen d’éviter que de faux hébergeurs profitent d’un statut très favorable qui les déresponsabilisent complètement pour en fait générer des revenus avec des vidéos sans payer de droits d’auteurs.
Google et YouTube ont fait beaucoup d’agitation autour de ça, sur le ton « mais c’est très dangereux, parce que ça veut dire qu’on ne pourra plus mettre de vidéos, puisqu’on sera responsable du contenu. » À mon avis, ils ont beaucoup exagéré le risque. Ce qu’ils n’ont pas vu, c’est que l’un de leurs concurrents potentiels sur le marché de la vidéo, c’est Facebook, et que si ce texte de l’article 13 passe, Facebook sera obligé de payer des droits d’auteurs comme YouTube. Ce n’est pas le cas aujourd’hui parce que le droit est insuffisamment protecteur, et qu’en réalité si YouTube conclut des accords avec les sociétés d’auteurs, ça leur garantira l’utilisation des répertoires. Je pense que ce dont YouTube a peur, c’est que si le droit européen évolue dans ce sens-là, les Américains ne finissent par les imiter. Ce qui est rare, c’est d’ordinaire dans l’autre sens, mais ça peut aussi donner des idées aux Américains.
Début février, la France et l’Allemagne ont trouvé un accord sur les droits d’auteurs. Pouvez-vous nous expliquer ce que dévoile cette nouvelle réforme ?
L’enjeu est multiple. Il y avait d’abord cette question de l’article 13. Comment responsabiliser des plateformes qui jusqu’à présent étaient considérées comme des hébergeurs et n’avaient pas de droits d’auteur à payer ? Il y a un autre enjeu : imposer un vrai contrôle, dans tous les pays européens, des contrats audiovisuels. Parce qu’aujourd’hui, il n’y a pas de systèmes comparables au système français pour contrôler les contrats. Il s’agit d’instaurer une obligation pour les producteurs audiovisuels d’avoir une vraie transparence à l’égard des auteurs pour qu’on puisse contrôler les comptes, les remontées de recette, que les auteurs soient payés ‒ ce qui n’est pas toujours le cas ‒, et puis surtout aller vers un système de rémunération proportionnelle des auteurs, soit en rémunération individuelle, soit en rémunération collective. Parce qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de pays européens, dont l’Allemagne par exemple, dans lesquels les auteurs sont payés par une rémunération forfaitaire. Ils n’ont donc pas un vrai suivi d’exploitation de leurs œuvres, ni vraiment de retour sur le succès de leurs œuvres. L’objectif, c’était soit d’avoir des accords entre les guildes et les producteurs dans les pays qui fonctionnent en système de guilde comme les pays nordiques, soit une obligation dans la loi comme c’est le cas en Italie ou en Espagne ou encore en Pologne, où c’est la loi qui prévoit que les auteurs ont un pourcentage sur les exploitations des œuvres audiovisuelles, et ce pourcentage est géré par les sociétés collectives. Le troisième système possible, c’est des accords syndicaux, donc entre les syndicats d’auteurs et les syndicats de producteurs, ou alors les systèmes SACD où nous on perçoit sur toutes les exploitations sauf les salles de cinéma (télévision, SVOD, Netflix, Amazon, Canalplay).
La SACD est aujourd’hui en conflit ouvert avec France Télévisions au sujet d’une meilleure rémunération des auteurs. Comment voyez-vous l’évolution de ce conflit ?
France Télévisions a annoncé qu’ils allaient, d’ici 2022, baisser leurs ressources, alors qu’ils se sont engagés à maintenir leurs investissements dans la création. Or la rémunération des auteurs est fondée sur les ressources de France Télévisions. C’est ce qui a déclenché la demande de négociation et la dénonciation du contrat. Deuxième raison du conflit, c’est que France Télévisions a annoncé la suppression de deux diffuseurs, France O et France 4. Sur France O, on a pas mal de fictions qui sont diffusées. Qu’est-ce qui va se substituer à France O ? Aujourd’hui on n’en sait rien. Et France 4 diffuse énormément d’animation, or le répertoire de l’animation est un répertoire important pour la SACD. Globalement, l’animation française est plutôt un succès européen et mondial. Donc ils ont dit qu’ils allaient remplacer ça par une plateforme à la demande, sauf qu’on ne sait pas comment elle va être financée, on ne sait pas quand elle va ouvrir, on ne sait pas comment les auteurs vont être rémunérés.
Le risque, c’est que si on passe à une simple plateforme internet, la rémunération des auteurs d’animation diminue. Et sur France O, il n’y a pas d’infos. Je ne sais même pas ce que pensent les gens dans les DOM de la disparition de France O, qui a été décidée au sommet juste pour faire des économies mais sans considération de l’intérêt d’avoir un diffuseur outre-mer. Et puis il y a deux autres raisons : la première, c’est que nous considérons que notre répertoire est sous-évalué. Nous avons un accord en commun avec la SCAM, et le partage avec celle-ci désavantage beaucoup le répertoire de la fiction, qui est infiniment plus attractif en termes d’audience. Il faut donc revoir les critères de valorisation de partage de la SACD. La seconde raison, c’est qu’aujourd’hui il y a de plus en plus d’usages délinéarisés [NDLR ‒ Connectés] du répertoire sur France Télévisions, et cette diffusion croissante en délinéarisé n’est pas du tout valorisée dans notre contrat. Ce contrat date de 2010, et à l’époque, la télé de rattrapage c’était quand même une petite partie des usages. Aujourd’hui, c’est une partie beaucoup plus importante sur laquelle on sait que la fiction prédomine, donc il y a beaucoup plus de visionnage de fictions ou d’animations en télévision de rattrapage que de visionnage de documentaires. Il faudrait faire une répartition qui respecte la prévalence du répertoire de la fiction/animation. Je ne parle pas du cinéma, puisqu’aujourd’hui il n’y a pas de cinéma en télévision de rattrapage, les producteurs ne voulant pas donner les droits. Voilà les raisons du conflit. Ce mot est un peu violent, disons du « désaccord » avec France Télévisions. On a donc dénoncé le contrat à la fin du mois de septembre, avec le préavis normal de trois mois, et aujourd’hui France Télévisions est sans autorisation d’utiliser le répertoire de la SACD.
Pouvez-vous expliquer en quoi la disparition de ces deux chaînes de France Télévisions soit une mauvaise nouvelle pour la SACD ?
On sait que France O et France 4 vont disparaître, on ne sait pas comment la ministre de l’Outre-mer va se débrouiller pour expliquer ça… ni comment ça va évoluer. Pour le moment, on négocie. La négociation a commencé un peu tardivement parce qu’on a demandé des rendez-vous avec France Télévisions dès la dénonciation en octobre, et on n’a pas réussi à les voir avant le mois de janvier. En général, dans les négociations, les conflits commencent par se durcir beaucoup avant de se dénouer. Mais là, je n’ai pas d’idée précise sur la question. Je pense que ça prendra quelques mois de plus. C’est d’autant plus choquant que France Télévisions a signé des accords avec des producteurs sur la production et les investissements du service public dans la production d’œuvres originales françaises, notamment de fiction. Ils ont négocié avec les producteurs, et ils n’ont pas jugé utile de négocier avec les auteurs sur la rémunération, c’est un peu étrange… On verra bien…
La réalité virtuelle semble être la nouvelle technologie confrontée aux droits d’auteurs. Comment la SACD accompagne-t-elle les auteurs ?
On a fait des modèles de contrat pour tenir compte des spécificités, mais pour nous une œuvre de réalité virtuelle, c’est une œuvre audiovisuelle. Là où il pourrait y avoir des nouveautés, c’est s’il y a une interactivité, c’est-à-dire si on peut intervenir sur le déroulement du scénario de l’histoire. Le fait qu’il y ait une réalité virtuelle en soi, ça ne modifie pas la qualification de l’œuvre. C’est un peu plus compliqué de négocier des contrats. Il se peut effectivement que la question qui se pose soit : « Est-ce que les gens qui ont une intervention technique sur une œuvre en réalité virtuelle sont des auteurs ? » c’est une question qui s’est déjà posée par le passé pour les réalisateurs. Il y a 70 ans, beaucoup de personnes considéraient que les réalisateurs étaient de purs techniciens, et que leur métier n’était pas un métier d’auteur. Aujourd’hui, les réalisateurs sont reconnus comme des auteurs à part entière. Ils sont les deux, en fait. Ils sont payés en tant que techniciens et en droits d’auteurs. Mais là, sur la réalité virtuelle, il y a toujours un scénariste, un réalisateur. Dans l’animation, vous avez des graphistes, aussi, que vous pouvez considérer à la frontière entre l’auteur et le technicien. La réalité virtuelle aujourd’hui recouvre assez peu d’exploitation, ça n’a pas encore pris l’ampleur des films en salle. La 3D oui, mais la 3D ne modifie pas en profondeur la logique de l’œuvre originale.
En termes de droits d’auteur, que pensez-vous du fair use américain ? Est-il adaptable en France ? [NDLR ‒ Aux États-Unis, le fair use est une exception ouverte au droit d’auteur qui permet d’identifier, en appliquant les critères légaux, de nouvelles exceptions.]
Non, c’est difficilement transposable en France, parce que le droit américain est essentiellement un droit jurisprudentiel dans lequel il y a beaucoup de précédents alors que le droit français est plutôt un droit écrit. Le fair use, qui existe aussi sous une autre forme en Grande-Bretagne, est difficile à contrôler parce que c’est quasiment du cas par cas. C’est-à-dire qu’à chaque utilisation, on se repose la question de savoir si c’est du fair use ou pas. Et à chaque fois que l’Union européenne a voulu introduire les concepts du fair use dans le droit européen, on s’y est opposés. En fait, si ça fonctionne en droit américain, c’est parce que l’objectif du copyright, c’est de faciliter l’utilisation des œuvres. C’est une vision plus « business-oriented » que l’approche française, dont l’objectif est que les auteurs contrôlent les utilisations de leurs œuvres et soient rémunérés. Alors que le fondement intellectuel et philosophique du copyright, c’est de faire en sorte que la connaissance circule pour que la société progresse. C’est ça qui a inspiré au départ le copyright, et c’est pour ça que le fair use est plus étendu en droit américain qu’il ne l’est pour le droit français. A priori, le fair use, c’est une très mauvaise idée. Ce serait une greffe difficile à faire sur le droit français.
Les « mèmes » ou GIF animés peuvent-ils entrer dans le cadre de la réglementation des droits d’auteur ? [NDLR ‒ les « mèmes » sont des microfilms, extraits de quelques secondes de films, images ou émissions, qui sont détournés pour faire rire. Les GIF animés, qui utilisent des extraits de films ou d’émissions, expriment une émotion, ils sont très utilisés sur les réseaux sociaux.]
Normalement, si c’est une petite séquence d’un film, ne serait-ce qu’une seconde, ça donne prise aux droits d’auteurs. Je ne sais pas quelle serait la base de la rémunération. Théoriquement, un producteur pourrait le faire, les images sont protégées. Imaginez-vous prendre un personnage de bande dessinée, Astérix, Tintin. Aujourd’hui, quand vous faites une figurine de Tintin, c’est protégé. De même que les figurines d’Arthur et les Minimoys, les auteurs sont payés. À partir du moment où les traits caractéristiques d’un personnage sont repris et reproduits, vous devez payer. La veuve d’Hergé touche de l’argent sur toutes les utilisations d’images de Tintin ou de n’importe quel personnage.
Un grand merci à la SACD et tout particulièrement à Hubert TILLIET pour sa disponibilité et son éclairage sur les droits d’auteur. N’hésitez pas à lire nos différents articles sur stardustmasterclass.com, la plateforme de formations en ligne dédiée à l’audiovisuel, le cinéma et l’écriture.