Parlez-nous de vous et de l’AAFA. Quel est son rôle ?
Je suis Sophie Anne Lecesne, je suis coprésidente de l’AAFA : Actrice Acteur de France Associés. C’est la première association d’actrices et d’acteurs créée en France, qui œuvre au niveau national pour la promotion et la défense de ce métier si particulier.
Quelle vision avez-vous du métier de comédien et comment voyez-vous ce métier à l’avenir ?
Comédien, c’est une vieille profession ! Ça existe depuis le Ve siècle avant J.-C., notamment avec le théâtre grec. Donc on peut aisément penser que c’est un métier qui s’est énormément renouvelé, notamment avec l’arrivée du cinéma, qui a beaucoup modifié le jeu des acteurs. Pourtant, il y a une vraie tradition. Notre métier, c’est le jeu. Nous jouons partout, donc l’évolution est surtout liée au support : aujourd’hui on peut toujours jouer au théâtre, dans la rue avec le théâtre de rue, au cinéma, mais aussi pour la télévision, et plus récemment pour le web, qui est très créatif.
Justement, comment voyez-vous cette particularité de comédien sur le web ?
Au début, comme il n’y avait pas beaucoup d’argent sur le web, ce n’était pas quelque chose sur lequel nous, les comédiens, allions systématiquement, principalement à cause des conditions de production. Aujourd’hui, il y a une vraie économie du web, d’internet. YouTube a aussi fait sortir pas mal de personnes, il y a eu des révélations. Et puis les comédiens se sont aperçus qu’ils allaient vite se faire doubler par les youtubers qui n’ont pas forcément de formation de comédien, mais qui ont cette habileté devant la caméra, et surtout un vrai public. Donc tout d’un coup, on se dit qu’il faut s’emparer à nouveau de la création artistique sur le net. Dorénavant, il y a beaucoup de capsules, de séries qui font appel à des comédiens. Est-ce que ça nécessite un jeu spécifique ? Pas particulièrement.
Ciblant particulièrement les jeunes, les youtubers ont souvent très vite une certaine renommée. N’y a-t-il pas une petite défiance, une petite jalousie ?
Pas de jalousie du tout. Moi quand j’ai commencé ce métier, on m’a dit qu’il ne fallait pas faire de publicité, les stars ne faisaient pas de téléfilms. Et aujourd’hui les comédiens, actrices et acteurs, veulent être partout. En fait, on l’a bien compris : c’est important d’être vu ! En revanche, à nous d’asseoir nos compétences, notre savoir-faire, notre art, pour être justement rémunérés à hauteur de la participation que nous avons à toutes les œuvres, y compris celles du net. C’est en partie le sens de mon action au cœur de l’AAFA.
Pour les non-initiés, peut-on faire une distinction entre les comédiens de théâtre et les comédiens de cinéma ?
Alors c’est vrai que quand nous commençons notre métier, nous prenons ce qu’on appelle des « cours de théâtre ». Mais en réalité, cette expression est assez fausse. En fait, ce sont des cours d’interprétation. L’interprétation n’est pas la même sur une scène et sur un plateau de cinéma, à cause des caractéristiques techniques : au théâtre, il y a la nécessité de porter sa voix. Maintenant, au théâtre, on utilise aussi beaucoup la vidéo, donc ça rajoute un paramètre de jeu. Au cinéma, ça peut être un jeu beaucoup plus intime : on a des micros, on est aussi beaucoup plus cadré. Du coup, parfois le déplacement est très millimétré, pour rester dans le champ. Mais ça reste du jeu.
Avez-vous des conseils pour les débutants, pour tout ce qui est recherche de boulot ?
C’est vrai que dans les écoles, nous sommes formés à jouer, mais pas forcément à trouver du travail. À l’AAFA, on a une commission qui s’appelle « AAFA, jeunes et après » Parce que quand on est jeune comédien, on est d’emblée projeté dans ce métier. Je pense qu’il faut faire ce qu’on aime, donc ne pas hésiter à aller rencontrer des gens pour leur dire qu’on aime leur travail. On a la chance que les scénaristes et les auteurs écrivent beaucoup pour la jeunesse, donc il y a quand même des castings. Souvent, les jeunes acteurs vont dire « oui mon cv est très petit ». C’est normal, quand on commence, de ne pas avoir un cv très fourni, mais il ne faut pas négliger la vertu de l’enthousiasme qui est un des gros atouts chez les plus jeunes. Donc ne pas hésiter à aller frapper aux portes, se présenter, et aussi à être les propres créateurs de son travail. Le web et le théâtre (qui sont dans des logiques économiques plus artisanales) permettent notamment de proposer, de créer des choses qui sont en phase avec ce qu’on a envie de dire. Et ça rassemblera forcément des artistes autour de vous, parce que tout le monde est en quête de sens, de message.
Diriez-vous donc aux jeunes que l’on peut faire ce métier sans pour autant devenir une star ?
La carrière d’un comédien n’est pas un long fleuve tranquille. On peut être très vite très connu, et aussi vite ne plus l’être. On est comédien parce qu’on porte un désir très fort de jouer, d’interpréter ce qui a été écrit par d’autres ou par soi-même. Moi, par exemple, je suis une comédienne qui n’a pas une grande notoriété, mais ça fait 25 ans que je fais ce métier, que j’en vis, que je suis intermittente du spectacle. Très tôt j’ai fait le choix de monter des spectacles avec les gens que j’aimais. C’est ce qui m’a donné une certaine indépendance et qui m’a permis de rencontrer beaucoup de monde et d’étendre mon réseau. La vie d’un comédien, ça n’est pas que le théâtre, ça n’est pas que le cinéma, ça n’est pas que l’audiovisuel, c’est aussi du doublage, du théâtre en entreprise, des actions culturelles pour les collectivités locales (lectures, ateliers…). Aujourd’hui, les entreprises sont très friandes d’interventions de comédiens. Lorsqu’on commence ce métier, on ne peut pas imaginer tout ce qu’il va pouvoir nous offrir. Les portes sont nombreuses, il ne faut pas avoir peur de les franchir !
Vous nous parlez des comédiens de doublage, quelle est la spécificité du métier de doubleur ?
Le doublage nécessite beaucoup de technicité. Il faut vraiment avoir des aptitudes au sens où le corps joue moins, c’est la voix qui fait tout. Certes, les comédiens derrière la barre de doublage, lorsqu’ils disent le texte à mesure que l’image défile, ne sont pas inertes corporellement, mais ils ne peuvent pas aller marcher dans tout le studio. Ils sont très liés à ce micro qui leur est tendu. Ils doivent à la fois se projeter dans ce qu’ils voient et respecter le mouvement des lèvres ; il faut être assez habile sur la lecture à vue, et donc attentif à l’articulation et au rythme. Cela nécessite beaucoup de concentration. Aujourd’hui, la VF est faite par des comédiens qui sont souvent très bons. C’est une technique qui s’acquiert, on peut faire des stages, on peut se former, et puis on peut aller voir sur des plateaux de doublage, frapper à certaines portes et demander si l’on peut assister. C’est aussi comme ça qu’on apprend !
Vous avez parlé des entreprises qui recherchent occasionnellement des comédiens, pouvez-vous nous parler de ces comédiens que l’on trouve dans ce que l’on appelle les films institutionnels ?
Il y a deux volets au sein des entreprises : il y a les films institutionnels, où l’on va porter un message des entreprises aux salariés ou à l’extérieur, donc il s’agit de jouer des scénarios qui s’apparentent beaucoup à l’audiovisuel, et puis il y a les entreprises où l’on va jouer des scènes de la vie au travail, ce qui permet aux entreprises de ne pas se focaliser sur tel ou tel salarié, mais essentiellement de dire « regardez ce qui passe dans l’entreprise ». Le but ici est de susciter l’interactivité et le dialogue de façon plus ludique que la simple concertation dans un bureau avec tous les salariés, et de mettre en abyme un peu tout ce que peuvent vivre les salariés dans une entreprise. On les sensibilise aussi à certaines thématiques, comme le handicap, la parité, l’écologie…
Il y a un autre volet où l’on sollicite les comédiens en entreprise, c’est notamment pour des mises en situation dans le cadre de la formation du personnel. Par exemple, le comédien va jouer le client revêche ou aimable et va exprimer son ressenti. Il va aussi faire bénéficier notamment la relation client des techniques de prise de parole. Là c’est un travail où l’on va utiliser le savoir-faire du comédien pour faciliter le quotidien des salariés.
C’est assez méconnu comme style, non ?
En fait, on n’est pas comédien de ceci ou de cela, on est comédien et on fait plein de choses. Là, aujourd’hui, je tourne un film institutionnel, ce soir je suis au théâtre. Dans 10 jours, je tourne pour TF1, et je joue une autre pièce dimanche dans un autre théâtre parisien. Je crée un spectacle chanté, et les 15 et 16 mai je vais intervenir pour GRDF. La vie de comédien est parsemée d’expériences, c’est un métier qui est tellement varié, tellement riche ! Nous, on fait notre miel de tout, puisqu’on doit incarner ensuite des gens qui existent. Pour retranscrire le vécu, il faut vivre soi-même.
Est-ce que les comédiens ont un rôle dans l’éducation culturelle ?
Alors puisque vous me posez la question, je répondrai : « pas assez ». Pour avoir animé de nombreux ateliers dans différentes écoles, aussi bien des écoles très prestigieuses que des écoles très populaires avec une vraie mixité, je pense que le théâtre doit être partout, que c’est toujours utile, que ça apporte aux enfants, aux adolescents une libération de la parole. Je vais dire un poncif, mais l’école est avant tout très « scolaire », et parfois j’ai observé que lorsqu’on propose à un enfant en difficulté scolaire de faire du théâtre, ça peut débloquer beaucoup de choses et lui donner de la confiance. L’école néglige parfois trop la fantaisie ; or la fantaisie dans la vie, c’est utile, ça permet d’aller partout.
Et si on a confiance en sa propre fantaisie, en sa propre personne, en ce qu’on est, en sa voix, en son corps, on peut faire de grandes choses. Les comédiens, on ne leur demande pas d’avoir un corps ou une voix parfaits, mais d’incarner les gens qu’ils représentent, et ça passe par admettre qui on est et ce qu’on représente. Et si l’on peut faire comprendre dès le plus jeune âge qu’il n’y a pas un modèle normé auxquels nous devrions tous nous conformer, que nous sommes tous intéressants, utiles, je pense que pour développer un avenir professionnel ou évoluer en société, c’est très important. C’est idéaliste (rires), mais j’y crois.
Il y a beaucoup de programmations théâtrales en France. À quelle place situez-vous le théâtre français dans le monde ?
On a toujours tendance à dire que c’est mieux ailleurs ; on est admiratifs des acteurs américains et britanniques, du cinéma asiatique… Mais quand même, en France, on a la chance d’avoir un paysage culturel très varié, très riche ! On produit encore beaucoup de films, ce qui n’est pas le cas de plein de pays en Europe. Et en matière de théâtre, la variété de ce qui est proposé est colossale. C’est aussi dû à notre système de rémunération, l’intermittence du spectacle. Elle est assez précieuse, parce qu’un comédien n’est pas tout le temps rémunéré. Il est rémunéré lorsqu’il joue et lorsqu’il répète – et encore pas assez lorsqu’il répète –, alors qu’il travaille tout le temps ! Lorsqu’on va au cinéma, lorsqu’on va au théâtre, on travaille. Lorsqu’on crée, lorsqu’on apprend nos textes, on travaille. Or pour cela, nous ne sommes pas rémunérés. Pourtant, nous avons besoin de ce temps-là pour travailler, donc il est nécessaire que nous ayons une rémunération par ailleurs. Et c’est l’intermittence du spectacle, qui est le financement par l’Unedic, qui permet aujourd’hui d’avoir une vraie diversité culturelle. On sait qu’il y a eu un audit du ministère de la Culture qui disait qu’un euro investi dans la culture en rapportait sept, et c’est un chiffre qu’on néglige trop souvent.
Pouvez-vous nous parler des futurs projets de l’AAFA ?
Nous avons beaucoup d’actions de concert. La première, c’est des rencontres interprofessionnelles. Nous nous attachons à rencontrer beaucoup de nos partenaires : les scénaristes, les metteurs en scène, les réalisateurs, les auteurs de théâtre. Nous confrontons nos vues, et surtout tentons d’asseoir la place de l’artiste dans un monde qui devient de plus en plus administratif. Donc nous créons des fronts avec tous les artistes qui veulent bien se joindre à nous pour dire « La France doit sa réputation de grand pays de culture grâce à ses artistes. C’est eux qu’il faut protéger, eux à qui il faut donner les moyens de créer si l’on veut faire perdurer cette image prestigieuse et puissante ». Ensuite nous avons un manifeste que vous avez relayé* sur la comédienne de plus de 50 ans. Car dès qu’une comédienne atteint l’âge de 50 ans, elle a de moins en moins de rôles, donc ça pose un problème pour ces femmes-là, et ça pose aussi un problème de société qui dit : « Qui n’est pas représenté n’existe pas. ». Si on ne représente pas les femmes de plus de 50 ans à l’écran, c’est très difficile de se projeter. Nous ne sommes pas que des mères et des grands-mères, nous sommes des femmes actives. Une femme majeure sur deux a plus de 50 ans, donc il serait temps qu’on les voie aussi à l’écran.
Nous avons aussi établi une charte qui parle du harcèlement, parce que le mouvement #Metoo est parti des comédiennes. Cette charte est là pour dire que tel ou tel comportement, même pour des « motifs » artistiques, n’est pas acceptable. Nous sommes tous responsables sur un lieu de tournage, sur un lieu de répétition, sur un lieu de travail, pour y prêter attention et dénoncer cela.
Quels sont vos projets ?
À titre personnel, je joue au théâtre : vous pouvez me voir tous les dimanches à 18 h 30 sur un spectacle de Pierre Dac et Francis Blanche (Théâtre de la Contrescarpe à Paris). Pour les tournages, on ne sait jamais quand les films vont sortir, c’est toujours un peu compliqué. Il y a un film auquel j’ai participé qui s’appelle Le petit chaos d’Ana, par un jeune réalisateur, Vincent Thépault ; ils sont en train terminer le montage, donc je ne sais pas quand ça sortira. Je vais tourner pour TF1 une série qui s’appelle Petits secrets en famille, mais je ne sais pas quand sort l’épisode, je ne peux pas vous convier. Mais soyez vigilants, Sophie-Anne Lecesne est sur scène et à l’écran !
Une dernière question par rapport à #Metoo. Le mouvement a également un grand écho médiatique en France, mais on a surtout l’impression que les révélations étaient principalement américaines non ?
Il y a encore du chemin. #MeToo a permis aux actrices et aux acteurs de réaliser leur pouvoir médiatique. En France, peut-être que nous avons moins de pouvoir, nous les actrices et acteurs, et qu’il y a encore beaucoup de frilosité ; peut-être que les Français ont un rapport à la séduction très particulier : le pays de l’amour, la France… Sauf que dans un cadre professionnel, ça n’a pas forcément lieu d’être. On dit que le comédien doit être désirable pour travailler, qu’il doit séduire, que les comédiennes sont des séductrices, et donc que c’est normal que ça dérape. Non ce n’est pas normal ! Et nous devons prendre vraiment conscience de notre force et de notre puissance. Je dis souvent : les ados, les adultes n’ont pas des posters de PDG dans leur chambre, ils ont éventuellement des posters de joueurs de foot, mais aussi d’actrices, d’acteurs et de chanteurs, des affiches de films et de concert. On a un vrai pouvoir, et on ne devrait pas avoir peur de dénoncer ça. Et pour celles et ceux qui disent « on n’a plus le droit d’être galant », cela n’a rien à voir ! Il y a des comportements inappropriés, et plus on sera conscients de notre force, de notre puissance de communication, plus on continuera de travailler. Le jeu, il peut se produire partout. Un film sans acteur c’est plus compliqué, ça s’appelle un film d’animation. Et encore, on a besoin des voix, donc on ne doit pas craindre de dénoncer. Mais c’est vrai que des abus, en France, il y en a, il y en a eu, il y en aura encore, et que l’omerta est toujours un peu trop forte. Mais aussi parce que les victimes ont peur de ne plus travailler.
Il y en aura de moins en moins quand même ?
Je l’espère, on fait tout pour.
Merci à Sophie-Anne Lecesne pour sa disponibilité. Pour plus de renseignements, rendez-vous sur le site de l’AAFA.
*Pour rappel, notre article sur le manifeste « AAFA tunnel des 50 » est disponible sur notre site, Stardust MasterClass, la plateforme dédiée au cinéma, à l’audiovisuel et à l’écriture.